RIP - JACQUES VERGÈS

Un célébre amateur de cigare s’est éteint

Jacques Vergès, «l’avocat de la terreur», est mort.

Le jeudi 15 août 2013, hébergé chez une amie, Jacques Vergès succombe à une crise cardiaque dans la même chambre que celle qui a vu mourir Voltaire. Son état de santé s’était dégradé dans l’année après une chute, bien que son état intellectuel fût intact.

…Jacques Vergès a passé sa vie à construire sa légende. Sherlock Holmes avait sa pipe, Vergès c’était le cigare, qu’il ne daignait quitter que pour entrer dans les prétoires pour y plaider la cause de dictateurs sanguinaires, de militants de l’action violente, plus rarement de la veuve et l’orphelin, mais toujours des causes perdues. « Une habitude depuis le jour où le Che m’a envoyé les meilleurs Havane », expliquait-il, un sourire satisfait aux lèvres.

Grand amateur de havanes et souvent photographié un puro à la main, Jacques Vergès, décédé à Paris à l’âge de 88 ans, avait découvert le cigare grâce à Che Guevara. Dans une interview publiée dans un récent numéro de L’Amateur de cigare, Jacques Vergès avait raconté qu’il avait rencontré le révolutionnaire cubain, argentin d’origine, à deux reprises à Paris au début des années soixante. Jacques Vergès fumait alors la cigarette, une habitude prise durant la guerre dans les rangs de la 1ère Division française libre (DFL).

Lors de leur première rencontre, à la vue de la cigarette que Jacques Vergès s’apprête à allumer, le Che lui lance : "Fume plutôt ça !" en lui tendant un havane. Depuis Jacques Vergès fumait régulièrement des havanes. Surtout des cigares de format robusto, comme l’Epicure N2 de Hoyo de Monterrey ou le D-4 de Partagas.

Le Salaud Lumineux

Celui qui aimait à se qualifier de «salaud lumineux» s’est éteint jeudi 15 août 2013 à l’âge de 88 ans. Animal médiatique, passé maître dans l’art de la provocation, Jacques Vergès était sans doute l’un des avocats français les plus connus mais aussi les plus controversés. Au fil de procès retentissants, cultivant ambiguïté et mystères, il avait su se tailler un personnage à sa mesure et à sa démesure.

Dans une interview au journal Sud Ouest en février 2013, « l’avocat de la terreur » -c’est le titre du documentaire que lui a consacré Barbet Schroeder- disait : « J’aurais dû crever cent fois, mais on m’a raté : un poursuivant qui tombe en panne de voiture, une bombe dans mon appartement alors que je n’y étais pas… ». Jacques Vergès a finalement succombé à l’âge de 88 ans. Sans doute aurait-il rêvé d’une sortie plus éclatante.

Mais qu’importe, Jacques Vergès a passé sa vie à construire sa légende. Sherlock Holmes avait sa pipe, Vergès c’était le cigare, qu’il ne daignait quitter que pour entrer dans les prétoires pour y plaider la cause de dictateurs sanguinaires, de militants de l’action violente, plus rarement de la veuve et l’orphelin, mais toujours des causes perdues. « Une habitude depuis le jour où le Che m’a envoyé les meilleurs Havane », expliquait-il, un sourire satisfait aux lèvres.

Car le roman Jacques Vergès est aussi une fresque historique. Derrière ses choix d’avocat, c’est toute l’histoire, avec sa grande H, comme dirait Georges Pérec, qui se déroulent. Pol Pot, le chef des Khmers rouges, le Palestinien Waddi Haddad, dirigeant de la « première multinationale de la terreur », Georges Ibrahim Abdallah, le chef présumé des Fractions armées révolutionnaires libanaise, Carlos, le terroriste vénézuélien, François Genoud, le milliardaire suisse nazi.

"Je suis double"

Comme les héros de roman, Jacques Vergès aimait à rappeler sa dualité. « Je suis double parce que je suis métis », disait-il pour rappeler ses origines : père réunionnais et consul de France en Thaïlande, mère vietnamienne. Double aussi peut-être en raison d’un frère jumeau, Paul. Ou plutôt, un frère jumeau supposé. On ne sait pas vraiment. Et peu importe sans doute, si ce n’est que le flou des origines confère déjà une tournure romanesque aux prémisses de son existence.

Jacques Vergès a passé son enfance et son adolescence à La Réunion. En 1942, il n’a pas encore 18 ans lorsqu’il s’engage dans la résistance. Membre du Parti communiste, il passe ensuite quelques années à Prague à l’époque où la Tchécoslovaquie est l’une des dictatures les plus dures de l’URSS. A son retour, il prête serment et devient avocat en 1955. A la conférence du stage, un exercice destiné à récompenser les jeunes avocats, son éloquence fait mouche, il gagne le concours.

"La disparition"

C’est en Algérie que son personnage va prendre de l’ampleur. Il défend des membres du FLN et notamment une militante condamnée à mort qu’il parvient à faire gracier Djamila Bouhireb. Converti à l’islam, il épouse la jeune femme devenue l’égérie de la lutte pour l’indépendance et finit même par prendre la nationalité algérienne. Il va ensuite défendre des fedayins palestiniens qui viennent d’attaquer des avions d’une compagnie israélienne.

Et puis un beau jour de 1970, il disparaît, abandonnant femme et enfants. Il ne reparaîtra qu’en mars 1979 à Paris. Où était-il ? Qu’a-t-il fait ? Toujours heureux d’intriguer, il a jalousement gardé le mystère sur cette ellipse, expliquant seulement en guise d’indice qu’il se trouvait alors «très à l’est de la France »…

Comme les héros de roman en quête de grandeur, il aura parfois frayé avec l’ignominie. Et à l’image des héros de Dostoïevski, toujours il aura su brouiller les cartes pour se forger une image toute en contradictions. Gaulliste et stalinien, il a défendu avec la même hargne, Magdalena Kopp, l’ancienne compagne du terroriste d’extrême gauche Carlos, et Louise-Yvonne Casetta, la banquière occulte du RPR.

Anticolonialiste, défenseur du tiers-monde, il finira par plaider la cause à quelques incarnations de la Françafrique, apportant son soutien à Laurent Gbagbo, après sa défaite à l’élection présidentielle en Côte d’Ivoire. Il est finalement écarté de sa défense, non sans avoir empoché 100 000 euros avec son confrère Roland Dumas.

"La stratégie de la rupture"

Avocat du diable, dans les tribunaux, il laisse à ses clients la place de simples figurants condamnés à incarner une idéologie. Sa technique est toujours la même. Il parle de « stratégie de rupture ». Plutôt que de s’attacher au cas particulier de l’accusé, il combat en opposant des valeurs, fustigeant constamment la bonne conscience de l’Occident.

« Chaque dossier de justice est le sommaire d’un roman, d’une tragédie qui se déroule devant nous, déclarait-il dans un portrait du Nouvel Economiste. Je suis le spectateur et le coauteur de cette tragédie. L’accusé a besoin que l’on donne un sens à son malheur. La société aussi. La saveur de sang et de chair d’un procès déclenche une série d’orgasmes dont on ne peut plus se passer, une fois que l’on y a goûté. Je suis un serial-plaideur ».

En 1987, il se voit confier la défense de l’ex-chef de la Gestapo de Lyon, Klaus Barbie. A la barre, il n’hésite pas à minimiser les crimes nazis pour se livrer à une condamnation de la France et de la colonisation. Il entend montrer que l’Etat français, pendant la colonisation, s’est conduit de la même façon que l’occupant nazi.

Comprendre plus que juger. Voilà le moteur de celui qui disait ne s’être fixé aucune limite, la «passion de la dignité humaine », aussi ignoble soit l’homme. « Déclarer qu’un homme est un monstre, c’est refuser de le comprendre. Il faut tenter de comprendre les êtres pour ne pas reproduire leur chemin malheureux. Mes clients me posent un problème car ils symbolisent la part de nuit qu’il y a dans l’homme. Je tire une certaine satisfaction de leur décryptage ».

Toujours plus loin dans la provocation, ces dernières années, Jacques Vergès s’était porté volontaire pour défendre Saddam Hussein, Slobodan Milosevic ou encore Mouammar Kadhafi.

La dernière page de ce thriller sulfureux s’est donc tournée. Certains auront peut-être trouvé l’histoire un brin tirée par les cheveux. Mais personne ne pourra dire que l’intrigue manquait de sel.

RIP JACQUES